Chapter 13
Chapitre 13
« Au fait, William. Maintenant que tu as une main de libre, je veux que tu m’aides dans mon travail. Bien sûr, tu seras payé. »
Lauren était venu trouver William dans sa chambre et attaqua d’emblée. William venait tout juste d’écraser une guerre civile d’une certaine ampleur et était revenu à la résidence des Taylor à Arkas. Karl était absent, occupé par diverses affaires concernant le corps Toren.
« Du travail ? »
William avait quelques connaissances générales sur les pierres précieuses, mais il doutait qu’on lui confie une tâche qui exigeait un vrai savoir-faire professionnel ; il ne put s’empêcher de hausser un sourcil.
« Tant qu’on sait lire, écrire et compter au boulier, on peut le faire. Et même à Arkas, peu de gens en sont capables. »
En ce moment, William était libre. Il comptait justement sortir rendre visite à Karl et à Favela, mais ses plans venaient d’être tués dans l’œuf. Quoi qu’il en soit, pour William, toute occasion d’apprendre était à saisir.
« Dans ce cas, je vais t’aider. »
Le travail des riches : une occasion rêvée d’en absorber le savoir-faire.
« Pour commencer, comment est-ce que nous gagnons de l’argent ? »
Laurent posa la question à William pendant qu’ils se rendaient au travail en calèche.
« On parle de la compagnie, n’est-ce pas ? »
« Non, on peut parler du commerce en général. »
Du commerce en général. Sur le plan théorique, c’était une question à la portée de William, qui avait déjà travaillé.
« La méthode la plus primitive consiste à transformer ce qu’on collecte en or ; ensuite, la voie agricole consiste à vendre ce qu’on produit. Avec l’import-export, on exploite les écarts de valeur. Par exemple, on importe depuis une région riche en eau vers une région où l’on peine, etc. Puis il y a la valeur ajoutée : transformer un simple morceau de fer en marmite ou en épée, et ainsi de suite. En ajoutant ce genre d’usage, on peut vendre plus cher que du fer brut. »
Laurent sembla satisfait.
« Oui, exactement. Un commerce repose sur l’une de ces choses, ou sur une combinaison. Les bases ne changent dans aucun secteur. Acheter à bas prix, vendre cher. Tout est là. »
Laurent marqua une pause.
« Alors, pourquoi est-ce que notre compagnie peut acheter à bas prix ? Comment pouvons-nous engranger des bénéfices en incluant coûts de main-d’œuvre, de transport, etc. Tu vois ? »
Il interrogea William. C’était aussi l’un des fondements du commerce.
« Différence de valeur et valeur ajoutée, volumes d’achats, crédit. »
« Impressionnant, surtout le troisième, c’est rare. La différence de valeur et la valeur ajoutée, comme tu l’as dit, c’est acheter au meilleur prix dans les régions riches en gemmes et leur donner plus de valeur avec la taille, la décoration, et autres. On retire le bénéfice brut une fois déduits les coûts de main-d’œuvre, de transport, etc. Voilà le flux de base. Et comme nous faisons partie du groupe commercial de la famille Taylor, nous regroupons tout cela à grande échelle. En achetant en masse, nous réduisons le prix unitaire et augmentons d’autant plus le profit. »
« Mais l’écart est vraiment si grand ? »
Laurent répondit avec un sourire à la question de William.
« Tu le comprendras en faisant la comptabilité que je vais te confier. Les bases du commerce, c’est de voir à quel point nous tirons bien parti de tout ça. »
Laurent parlait avec assurance. Il devait effectivement s’agir d’une affaire très rentable.
« Ce n’est pas nécessaire pour l’instant, mais il y a une chose à ne jamais faire dans le commerce des bijoux, un courant sur lequel il ne faut surtout pas se laisser porter. »
Lauren planta son regard dans celui de William. C’était plus important à connaître que les détails pratiques. Ses yeux, un peu plus sérieux, le disaient clairement. William raffermit lui aussi son expression.
« C’est de faire baisser les prix — au contraire, il faut les maintenir hauts. Les clients veulent une pierre de grande valeur, pas un caillou clinquant et bon marché. Ce que nous vendons, ce n’est pas de la nourriture, des vêtements ou un toit. Ce n’est pas indispensable : ce n’est qu’un article de luxe, et s’il n’a pas de valeur, il ne veut plus rien dire. Une fois qu’on le pense sans valeur, c’en est fini. Les gemmes que tu portes à ton cou, si elles ne nous confèrent plus aucune valeur, ne sont plus différentes des pierres au bord du chemin. Garde bien ça en tête. »
Ne jamais abîmer la valeur. C’est sévère, dit Laurent. Pour l’instant, William n’avait pas le pouvoir d’influer là-dessus. Mais s’il l’aidait, il finirait peut-être par occuper un poste lui permettant de le faire. En réalité, c’était bien parce qu’il y voyait ce potentiel qu’il invitait William à travailler avec lui. La preuve : il le faisait commencer par la comptabilité, d’où l’on pouvait apprendre tout le flux des affaires.
« Ah, on y est presque. »
La calèche s’arrêta, et tous deux descendirent. Ils se trouvaient dans un quartier central d’Arkas, administré par des citoyens de premier rang. L’accès aux quartiers nobles était restreint ; c’était donc ici que les affaires prospéraient le plus. C’était l’endroit où l’argent circulait le plus à Arkas.
Ici, l’argent comptait plus que les cérémonies. Aussi, dès que Lord Taylor posa le pied à terre, l’atmosphère du lieu changea du tout au tout. Tous les regards se tournèrent vers lui.
« Bonjour, Lord Taylor. »
« Oh, bonjour. »
Il salua calmement les présents, puis fit signe à William d’entrer.
« Voici William Saacchi. »
Une fois à l’intérieur, William découvrit un espace ordonné et sobre. Pas de fleurs superflues dans un lieu de travail. Tout autour, aucun objet inutile : le bureau était organisé pour permettre d’être efficace.
« Explique-lui le travail. »
« Bien, monsieur. »
Il confia à l’un des employés de bureau le soin d’instruire William.
« Ah, j’ai oublié de préciser une chose. Je pense lui confier un jour la présidence du groupe commercial de la famille Taylor. »
Le bureau s’enflamma. Tous les regards convergèrent sur William. Celui-ci, qui n’avait pas bien entendu, se tourna vers Laurent.
« Karl prendra la suite après moi. Mais je ne pourrai pas te mettre pleinement en valeur si tu n’occupes pas toi aussi une telle position, tu comprends ? Ce n’est pas si compliqué. Il suffit de gagner de l’argent. Si tu en es capable, dès le lendemain tu peux devenir président du groupe. »
Laurent se montrait indulgent envers William. Excessivement indulgent, même. Mais cette indulgence suscitait évidemment de la jalousie. Impossible d’y couper. William avait choisi de s’élever en tant qu’épée de Karl ; si les choses continuaient ainsi, ce rôle finirait par le figer complètement. Devenir l’épée de Karl von Taylor. En prenant conscience de cela, il voyait bien le risque que cette gentillesse ne devienne une chaîne qui l’entrave.
« Fais de ton mieux. En travaillant à la comptabilité, réfléchis à ce qui manque sous le pavillon Taylor, à ce qui pourrait constituer un plus. »
William comprit enfin le véritable objectif de Lord Taylor. Il avait envisagé de dégager Karl en accumulant du pouvoir. Avec l’argent et le statut, il n’aurait plus besoin de rester dans son ombre. Il s’était déjà figuré la scène où, dès que Karl se mettrait en avant, lui-même apparaîtrait à ses côtés.
(Mais Lord Taylor me tend la main pour justement briser cette dépendance à Karl. Si je deviens le dirigeant d’une société sous l’égide des Taylor, aux yeux du monde, ma relation avec Karl aura l’air étroite. Tant que je n’aurai pas acquis un pouvoir suffisant, je ne veux pas que le monde me voie comme un obstacle entre lui et Karl.)
Et il ne pouvait pas refuser cette offre. Compte tenu du rapport de forces actuel, c’était évident. Refuser un si bon poste reviendrait à laisser entendre qu’il avait quelque chose à cacher ; ce serait clairement une mauvaise décision pour lui. En fin de compte, se laisser porter par le courant, pour l’instant, restait la meilleure option.
(Mince… Il vient de me coincer d’un seul coup.)
Lord Taylor jouait dans une autre catégorie. C’était le chef qui tenait ensemble les maisons de commerce. Il avait bâti un empire de biens. Il était normal qu’il ne soit pas « ordinaire ».
(Très bien, je vais accepter. C’est encore ce qu’il y a de mieux.)
Pour l’instant, il se laissait ballotter par le flux. Il se contenterait d’y faire les meilleurs choix possibles. Quand il aurait le pouvoir de créer lui-même le courant, il aviserait. À ce stade, il ne servait à rien de résister.
« Je vais commencer par t’apprendre comment tenir les livres. »
« Merci. »
Pour cela, il devait maintenant absorber tout ce qu’il pouvait. Le savoir ne serait jamais une perte.
○
« … Combien ils peuvent gagner, ces types… »
En tenant les livres, William en resta bouche bée. Était-il vraiment acceptable d’amasser autant ? Ou bien le prix des pierres brutes était-il donc si bas à l’origine…
William baissa les yeux vers le rubis accroché à son cou.
(Tant qu’il n’atteint pas le marché, c’est étonnamment bon marché.)
Créer de la valeur. L’industrie de la joaillerie n’est que mise en scène, et William prit pleinement conscience que les gens payaient pour la marque.