Chapter 34
Chapitre 34
Les Gilbert, après avoir repoussé l’ennemi, se dirigeaient à marche forcée vers Flanderen. Plus précisément, ils visaient la plaine fortifiée, déplacée de concert avec les montagnes, qui devait s’étendre devant Flanderen. Sans cela, la force principale pourrait aisément manœuvrer en frappant l’arrière de l’armée ennemie.
« Pas étonnant ! Magnifique ! Typique des Gilbert. Le sang des épéistes n’est pas usurpé. »
« Hé ! Ton père sera content aussi. »
Mais c’était de la flatterie intéressée. L’armée des Naderks, qui ne s’attendait pas à un mouvement soudain de l’ensemble des forces, fut stupéfaite par l’attaque générale d’Arcadia, et, au final, la victoire fut arrachée sur la différence de préparation. Et ce sont ces deux-là qui ont servi de maîtres à Gilbert et ont rendu cela possible.
« Je suis redevable aux brigadiers Willibrand et Christophe. Je vous remercie profondément. »
Voyant Gilbert prononcer ces paroles polies, les deux éclatèrent de rire.
« Christoph, c’est quelque chose, hein. Ce morveux qui nous parle soudain avec des honorifiques. »
« Parce que ça ne lui va pas, j’en ai la chair de poule. On pourra vite se revoir. En attendant, fais avec. »
« Je le sais déjà. »
« Bouh ha ha ha ha ha. »
Ces deux hommes avaient appris à Gilbert ce qu’était la guerre. Ce n’est pas exagéré de dire qu’ils lui avaient tout enseigné, hormis le maniement de l’épée. Gilbert ne les avait encore jamais vaincus, ni en théorie ni en tactique. Ils maîtrisaient tout de la guerre : savoir, expérience, puissance, et la force de l’âge. Deux hommes qui possédaient tout. Ce sont ces sourds au doute qui deviendraient l’épine dorsale soutenant Gilbert.
« Mais l’armée des Naderks n’est pas si entamée. Je vois des incendies qui s’élèvent là-bas, mais ce n’est pas un anéantissement complet. »
« Je comprends le sentiment, mais si l’on ajoute que Flanderen est juste derrière, leur attitude paraît franchement stupide. »
« Oh, alors, vous comptez attaquer Flanderen dans la foulée ? »
« Évidemment. À ce stade, laisse-nous l’occasion de laver la honte de la chevalerie. On va la saisir. »
C’est un exploit qui marquera l’Histoire. Une occasion unique de l’accomplir. Ils n’avaient aucune intention de la laisser filer.
« Gilbert, merci pour tout. Laisse-nous prendre le relais ici. »
Gilbert afficha une mine contrariée. Les deux s’en amusèrent.
« Allons, tu en as déjà fait assez. Confie-nous la suite. »
Le commandant ennemi avait été abattu en ce lieu même. Il était presque acquis que Gilbert serait reconnu comme le principal artisan de ce succès. Sa promotion paraissait assurée. S’il réclamait davantage, les plaintes ne manqueraient pas de fuser. D’autant plus que la victoire était en jeu.
« D’accord, je vous laisse faire. »
Le visage fermé, Gilbert retourna à son unité. Il devait transmettre l’ordre d’attendre en arrière.
Les visages des deux hommes qui le regardaient partir étaient radieux.
« La maison Oswald est sauvée elle aussi. »
« Il a compris, il sait ce qu’est l’épée. J’ai peur pour ma nièce, son frère m’inquiète, mais même lui saura encaisser. »
« Ouais. À nous de montrer la force de notre bras droit. »
Flanderen se dressait devant leurs yeux. Jusqu’ici, dans toute l’histoire d’Arcadia, jamais encore ils n’avaient franchi la Luria pour attaquer Frandelen. Mais à les voir, si la défense était faiblesse à cet instant, ils avaient la certitude qu’un assaut rapide suffirait à la faire tomber.
« On y va, Christoph. »
« Ouais, Willibrand. »
Aujourd’hui, ils allaient inscrire leurs noms dans l’histoire. Puis, au-delà encore, Gilbert porterait Arcadia sur ses épaules. Un tel avenir s’ouvrait devant eux.
○
À Flanderen, Rudolf se préparait pour le départ. Bien sûr, en pratique, c’étaient les jeunes servantes de Rudolf qui s’occupaient des bagages.
Rudolf était vautré sur le lit, occupé à suivre des yeux les poitrines qui passaient parfois dans son champ de vision.
« L’armée d’Arcadia approche à toute vitesse. Nous devons partir. »
Quand Reinberger entra dans la pièce sans se soucier de l’ambiance, Rudolf prit une expression écœurée.
« Oh, ça veut dire qu’on a perdu ? Beurk, beurk, beurk. »
Rudolf se pelotonnait. Les seins qu’il tenait à deux mains tremblaient à grande vitesse. Rheinberga en avait mal à la tête.
« Bien sûr, nous avons l’ordre de défendre Flanderen jusqu’au bout, mais ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle ne tombe. »
« Bouh, bouh. Wolf, mon bon Wolf. Si tu ne tiens pas un minimum ton rang, tu vas me mettre dans l’embarras. »
Le camp des Nederks avait fait s’écrouler l’échelle de la victoire, mais pour Rudolf, tout cela restait dans ses calculs. Il avait même gagné du temps pour nouer de bonnes relations avec l’armée des Naderks. Donc, si on lui retirait le contrôle, il passerait à la suite. Inclure cela faisait aussi partie des capacités d’un général.
« Oh, je n’ai plus besoin de Flanderen. Et je déteste perdre. Tu comprends ? »
Le visage de Reinberga pâlit en comprenant enfin ce qu’il voulait dire.
Rudolf, lui, fixait les poitrines d’un air absent. Ça, il ne s’en lassait jamais, malgré tout ce qu’on pouvait dire.
« Oh. »
Rheinberga quitta la pièce, la tête basse.
« Allez, on remballe vite fait et on se tire ! Cette extrémité orientale est trop agitée. Allons faire disparaître tout ça dans un bain moussant royal ! »
Rudolf tripotait une poitrine sans se soucier le moins du monde de l’état de Reinberga. Il fallut encore un bon moment avant que les jeunes filles aient terminé les préparatifs.
○
Carl s’écroula en lâchant un « Hii ». Son visage de général, qu’il arborait depuis un moment, s’était volatilisé, et c’était un Carl von Taylor plus authentique, plus habituel, qui se tenait là.
« Non, je ne pensais vraiment pas qu’on réussirait à les repousser. »
« Merci infiniment, Carl. »
Ignats et Frank étaient eux-mêmes stupéfaits de la situation. Ce Carl avait repoussé le « Chant du Lion ». Carl, que les autres marchands prenaient pour un simple poids mort de la famille Taylor, avait brillé comme capitaine d’une centaine d’hommes. Un non-samouraï qui surpassait les samouraïs.
« Tu as claqué combien pour tout ça ? »
Voyant le sol littéralement tapissé de flèches, Carl prit un air embarrassé.
« Hé, Laurent a doublé la mise que tu avais proposée, non ? »
« Avant ça, Carl avait déjà multiplié par dix l’offre de M. William. »
Tel père, tel fils. Leur manière d’utiliser l’argent, le temps, les sommes en jeu, n’avait rien de normal. On pouvait dire que Carl portait, lui aussi, pleinement le sang des Taylor.
« Résultat, il nous reste encore un énorme stock de flèches. Tout ça, c’est du surplus. »
« … Hah. William avait raison de vouloir gérer lui-même un commerce d’armes. »
« Votre voix tremble, monsieur. »
Il lui restait encore des côtés peu fiables, mais Carl grandissait sûrement. Seuls ses subordonnés, qui le connaissaient depuis l’enfance, pouvaient le voir aussi clairement. L’essor de Carl von Taylor—
○
Willibrand et Christophe s’emparèrent sans difficulté des murailles de Flanderen. Les jeunes, qui observaient de loin, restaient bouche bée devant la précision de leur manœuvre. Leur propre niveau était encore loin. Il leur faudrait dépasser ces deux hommes pour prétendre au sommet.
« On peut pousser jusqu’au cœur de la ville ? »
« Marché conclu. Mais si ça tourne mal, ne laisse surtout pas filer l’occasion. »
« Bien sûr. Une victoire est une victoire. »
Willibrand fit entrer leurs troupes dans Flanderen et progressa dans une ville où les habitants étaient encore présents.
Prendre Flanderen, tête de pont vers les Sept Royaumes des Nederks, avait une portée immense. La guerre entre Arcadia et les Naderks ne ferait que s’intensifier désormais. Attaques et contre-attaques, l’ère des combats approchait.
Ce n’est qu’en y brillant que l’on devient un héros. Une figure marquante dont le nom restera dans l’histoire du monde.
« Les temps changent. Et nous, avec Gilbert, serons au centre. »
« J’ai hâte de— »
Christoph s’interrompit. Un groupe vêtu de noir barrait la route, là où aurait dû se trouver l’artère principale de la ville. Les deux hommes froncèrent les sourcils devant cette apparence tapageuse et insolite.
« …… »
Au centre se tenait un monstre en armure d’un noir de jais. Nauséabond, solitaire, malfaisant et répugnant. On aurait dit une forme condensée de toute la malveillance de ce monde. Son visage était entièrement dissimulé sous un heaume intégral.
Et dans sa main—
« Sacrée taille. En fauchant l’herbe avec ça, on ferait des ravages. »
Une énorme lame, aussi grande que lui. Noire elle aussi, lame et poignée.
Tout, dans son équipement, défiait la raison et la fonctionnalité. Ici, c’était le champ de bataille, pas une cérémonie ni une fête. Se tenir là, comme ça, dans de telles circonstances, revenait à chercher la mort.
« Mais ici, c’est un champ de bataille, pas un champ à moissonner. »
Christoph dégaina, et Willibrand l’imita aussitôt. À cet instant, l’atmosphère changea du tout au tout. La tension guerrière emplissait l’espace. Leur combativité gonflait. En tant que généraux, ils incarnaient aussi parfaitement les qualités exigées d’escrimeurs.
« ……… »
On ne peut pas se laisser distraire sur un champ de bataille.
« Hmm ? Tu as dit quelque chose ? »
Ils avaient affronté tant d’ennemis, et l’avaient toujours emporté. Sur un affrontement d’armées, ils ne doutaient pas de balayer l’adversaire. Le chemin qu’ils avaient parcouru était celui de héros des champs de bataille.
Cependant—
« … Tue. »
Ce lieu n’était pas un champ de bataille.
○
« Yo. Alors, tu t’es réveillé, O-san ? »
Anatol fut surpris d’être toujours en vie. Puis, en prenant la mesure de la situation, son expression se fit complexe.
« On a… perdu ? »
L’état de l’armée principale parlait de lui-même. Le drapeau, un blanc immaculé, était celui d’Arcadia. Celui des Naderks brûlait, réduit en cendres. Il n’y avait jamais eu de gagnant dans cette guerre de montagnes.
Anatol ferma doucement les yeux.
« Ouais, on a perdu. Quand j’ai été taillé en pièces, j’ai bien vu qu’on avait perdu, alors j’ai détalé de toutes mes forces. Tu m’avais aidé l’autre jour, alors je te rends la pareille. Comme ça, je ne te dois rien, c’est tout. »
Nika résuma ça d’un ton sec, en donnant un coup de pied dans un caillou, les lèvres serrées.
« C’est moi qui suis désolé. La bataille était gagnée. Tout est de notre faute. Tu n’y es pour rien. »
« Je m’en fiche de ça. Enfin, je vois bien. Disons que si Wolf venait à perdre, ça laisserait un goût amer, mais tant qu’on perd que Wolf, le chef, ça passe. C’est toi qui m’intéresse. »
« … Vraiment. »
Le silence s’installa. Un vent agréable se leva.
Pendant ce temps, les mercenaires noirs se rassemblaient peu à peu.
« Hé, criminel de guerre. On rentre à la maison. »
« … Désolé de ne pas pouvoir te dire autre chose. »
Le retour de Uwayne. Au final, Uwayne avait été entièrement neutralisé par Carl. Il avait été vaincu avant même d’avoir pu lancer une seule attaque contre les lignes adverses, écrasé sous la pluie de flèches tombant sans la moindre hésitation. Mais dans de telles conditions, ni Uwayne ni personne n’aurait pu faire quoi que ce soit. Ils savaient à quoi s’attendre. Il existait des plans pour tuer les héros.
« Pardon. C’est un sentiment qui ne fait que commencer à me travailler. »
Nika tourna le regard vers Flanderen. L’inconfort qu’elle sentait, depuis tout à l’heure, en provenait. La cause principale était là-bas. Peut-être que Uwayne l’avait perçue lui aussi.
« Ce n’est pas un guerrier. C’est quelque chose de plus étranger encore. Mais j’ai pas envie d’admettre que ce genre de chose existe. »
Le visage de Uwayne se crispa, comme s’il ressentait à son tour cette présence.
« … Ça a bougé, alors la bataille est finie. »
Anatol fixa au loin la direction de Flanderen.
Une lueur tremblotante, éclairée par le soleil couchant. Le nombre de colonnes de fumée augmentait sans cesse.
Flanderen était en flammes.
« Cette famille des Nederks qui grave son nom dans l’histoire des ténèbres. Dans leurs descendants… habite le dieu de la mort. Il ne faut pas l’affronter. Ce ne serait pas un combat. »
Seul Anatol comprenait ce qui se passait là-bas.
○
Willibrand n’avait même pas conscience qu’il urinait. Il revoyait un subalterne se faire faucher comme une simple touffe d’herbe. Il revoyait Christoph, tranché de haut en bas tandis qu’il tentait de résister, sans même pouvoir opposer la moindre défense. En se remémorant ces images, Willibrand faillit vomir. C’est à peu près à ce moment-là que son cheval fut mis en pièces.
Quoi qu’il en soit, Willibrand fuyait. Jetant sa dignité et son rang aux orties, les yeux, les larmes et la morve en pagaille, il courait dans un état pitoyable.
« Désolé. Je ne peux pas survivre autrement. »
Il avait peur de mourir. Plus précisément, il avait peur d’être tué par ce monstre. En entrant sur le champ de bataille, il avait accepté de risquer sa vie en chevalier. Il pensait s’y être préparé. Mais cet endroit n’était pas un champ de bataille. Qu’ils soient chevaliers ou soldats, on ne pouvait même plus dire avec certitude que ceux qui tombaient étaient des humains.
« … ! »
Willibrand se figea. Il entendait. Cette voix.
« … ! »
Cette voix d’horreur, celle de la mort. Le son des os qui se fendent, de la chair qui se déchire.
C’était encore loin. La voix s’éloignait.
Quand elle s’éteignit, Willibrand sentit un semblant d’apaisement.
« Hah… ah, ah, ah, ah… »
Un apaisement fragile. Le corps de Christoph, fendu dans la longueur, continuait de danser devant ses yeux. Une vision irréelle. Les deux épéistes issus de la lignée des Oswald, réputés pour leur art, n’avaient pas même ébréché cette chose. Chaque rencontre rapprochée avec cette lame ne menait qu’à une mort certaine.
Une puissance et une vitesse écrasantes, et plus effroyable encore que tout cela—
« Putain… ce monstre. »
Willibrand finit par reprendre ses esprits. Ce qu’il devait faire était simple, évident. Il fallait reprendre la bravoure de Christoph. Face à un individu pareil, on pouvait gagner en usant de l’armée, même si on perdait en duel. On pouvait abattre ce monstre. C’est ce que Willibrand se persuadait.
« Je le tuerai avant qu’il ne me tue. Ne me sous-estime pas. »
Rejoindre l’armée. La raison de leur échec la dernière fois n’était qu’un excès de confiance, et le fait qu’ils n’étaient qu’une poignée. Tant que c’est un homme, on peut le tuer en le cernant légèrement et en le criblant de flèches. C’était logique.
« Je suis un commandant de ce royaume, un chevalier, un noble ! »
Willibrand se remit à courir, la cape claquant. Maintenant que son but était clair, il retrouvait son calme en entraînant son esprit et son corps vers cet objectif.
« Sur un vrai champ de bataille, je ne perdrai pas. Pas vrai, Christoph ? »
Récupérer l’honneur. Même s’il ne pouvait y parvenir seul, le groupe le pourrait.
Il courut. Vers les siens, vers la direction d’Arcadia. En continuant d’avancer, il rejoindrait bientôt la force principale. Si l’on ajoutait la distance qu’il avait fuie à celle déjà parcourue—
« La vue se dégage. Encore un peu. »
Les lieux où l’on peut déployer une grande armée sont limités. Willibrand avait étudié Flanderen auparavant. Il en avait une bonne connaissance du terrain. Au-delà, il devait forcément y avoir un détachement ou le gros des troupes. Une fois réunis, ils pourraient se retourner et contre-attaquer.
« Si je tourne à ce coin… c’est gagné ! »
Willibrand prit le virage et—
vit un charnier noyé dans les flammes rougeoyantes.
Willibrand s’effondra à genoux, désespéré. Une hache effleura sa joue. Une odeur infecte lui arracha les narines. Il lui suffit de chercher la source de la puanteur pour comprendre. Des cadavres. Des cadavres en train de brûler.
« Ah… »
Au centre de ce bûcher se tenait un seul monstre. À cet instant, Willibrand perdit tout, sauf une seule chose. La chevalerie inculquée depuis l’enfance, la technique patiemment ciselée, les expériences accumulées, tout fut réduit à néant.
« … Rose. »
Un monstre vêtu de noir profond. Un sang sombre coulait de sa grande lame, touchait le sol en feu, s’évaporait en volutes rougeoyantes qui montaient dans les airs.
Mais c’était la « mort » qui se tenait là.
« Oh… c’est donc ça. »
Ironiquement, ce désespoir ralluma une lueur dans les yeux de Willibrand.
« Si… si je force un peu, je peux dire que je ne savais pas… que c’étaient des civils… »
Il ne riait plus.
En y regardant de plus près, les cadavres ne portaient pas tous des uniformes. Il y avait aussi des vêtements ordinaires. Ce n’étaient sûrement pas des citoyens d’Arcadia. Ici, c’était Flanderen, territoire des Naderks. Des habits civils, il ne pouvait s’agir que des habitants de Flanderen.
« Tue. »
Il était épuisé. Qui avait-il en face de lui ? Ce n’était pas un soldat.
« Ne te fous pas de moi. »
Ce n’était pas un chevalier.
« Espèce de… ! »
C’était un meurtrier. La chevalerie qu’il pensait avoir perdue, soudain, se ralluma dans ce désespoir. Cette scène, il ne pouvait la pardonner. Cette tuerie ne pouvait être acceptée. La guerre est un pari entre chevaliers, entre guerriers. Un massacre comme celui-ci est impardonnable.
« Tu es un monstre ! »
Le nom de chevalier se brisait.
Willibrand bondit, jambes tendues, sans se soucier de la chaleur qui brûlait sa peau. Ce monstre personnifiait le désespoir. Sa coupe était celle de la première lame d’Arcadia, héritière des flux d’escrime. L’aura écrasante qui émanait de lui n’avait plus rien de commun avec tout à l’heure. Il incarnait une forme de combat qu’on avait foulée aux pieds, une charge désespérée dans laquelle Willibrand jetait toute sa vie.
« Ne sous-estime pas un guerrier ! »
La justice était de son côté—
« Tue. »
—.
Il était un chevalier aux flammes guerrières ardentes. Un combattant qui avait traversé d’innombrables champs de bataille, consacré sa vie à la guerre.
Face à lui se dressait—
« Un monstre. »
« La Faucheuse. »
« Tue. »
La créature lâcha la grande lame d’une main, et de l’autre, enfonça son bras gauche dans le torse de Willibrand qu’elle venait de trancher de côté. Guchu, guchu, guchu. Elle remua.
« Aaaah, aaaaah, aaaaaaaaaaah ! »
La Faucheuse souriait tandis que Willibrand hurlait. Vision d’horreur. Elle le poussait vers la mort sans lui laisser le moindre repos. Elle tirait ses intestins, les déchirait, les écrasait. Elle riait au milieu de cet enfer où sang et immondices se mêlaient.
« Tueeeeeeeeeer. »
La Faucheuse jouait avec Willibrand. Elle lui écrasa le cœur, prêta l’oreille à ses derniers râles, et s’en repaissait. Elle lui arracha un œil, le remit dans son orbite. Son crâne se fendit depuis l’orbite, et la Faucheuse ouvrit son cerveau en deux. Elle frissonna de plaisir dans la gélatine cérébrale.
« Aaaah, aaaaah, aaaaaah ! »
Après avoir finalement mis le jouet au feu et savouré sa combustion, le dieu de la mort, avide de nouveaux meurtres, se remit en marche. Il n’avait pas encore tué assez. Il devait tuer, encore et encore. On l’avait laissé sortir après un long temps.
« Tuer, tuer, tuer, tuer, tuer, tuer, tuer, tuer, tuer, tuer, tuer, tuer, tuer ! »
Un dieu qui joue avec la mort. Voilà ce qu’était ce monstre. Un être né, élevé, façonné en dehors de toute autre chaîne que celle de la mort. L’expression extrême d’un unique aspect humain, affûté jusqu’à la démesure. Cette mort concentrée engendrait aisément une puissance au-delà de toute mesure.
Une Faucheuse noire brandissant la légende des Naderks. Tel était ce monstre.